La tactik collective

« Je suis celui qu'on a puni deux fois, ici et puis là bas »
 
Double peine :
on n'est plus chez soi
La double peine, c'est la prison plus l'expulsion.
Elle condamne à l'exil des milliers de gens qui ont vécu leur vie en France.
Exemple à travers l'histoire d'Amina Falah.
Tu arrives en France alors que t'as encore l'âge de jouer à la marelle. Tu grandis dans ta banlieue HLM d'Orléans, l'école te forme à Victor Hugo puis au travail à l'usine. À la maison, parfois, ton père raconte le Maroc. C'est le pays où tu as vu le jour, mais tu ne le connais pas plus que tes voisin solognots. Tu n'en parles pas la langue, tu n'en pratiques pas la religion. Tu ignore jusqu'au mot «intégration», cette formule pleine d'air dont se gonflent les faux-culs pour te faire embrasser un pays qui t'appartient déjà. Comme s'il fallait un carton d'invitation pour vivre chez soi.
Alors que tu n'as que dix-huit ans, ton frère meurt  dans un accident de voiture. Ta vie dévie. On te fait goûter la dope, tu deviens accro. Tu tenteras à plusieurs reprises de décrocher, mais le sort s'arrange pour te remettre chaque fois bien au fond du trou. Pour  te payer le pain ou la défonce,
tu commets des vols à la tire. Tu collectionnes les petits séjours en taule. Tu chopes le virus du Sida. L'abyme. Au moment où tu trouves enfin la force de remonter du puit, on t'apprend que tes deux filles, placées par la DDASS dans une famille d'accueil, viennent de mourir dans l'incendie
d'une caravane. Rechute, re-dope. Après avoir purgé une nouvelle peine de prison, tu penses être en mesure de t'occuper enfin de ta troisième fille, Chafika. Mais des policiers t'attendent à la sortie de Fleury-Mérogis. Sans un mot, ils te traînent à Roissy et t'embarquent de force dans un avion.
Destination Casablanca, Maroc.
Tu ne te doutais pas qu'aux yeux de l'Etat, tu n'es pas française, mais marocaine. Tu ne savais pas que dans ta vie française, tes attaches françaises, ta culture française, ta fille française, ta séropositivité française ne te donnait aucun droit de vivre dans ton pays. Tu comprend la différence qui te sépare de tes potes. Eux, lorsqu'ils vont en taule, ils en sortent libres après avoir purgé leur peine : les faux-culs disent alors qu'ils ont « réglé leur dette à la société ». Mais toi, quand tu sors de prison, c'est pour gagner un aller-simple vers l'exil. Deux peines au lieu d'une : la double peine. Elle frappe quelque deux ou trois mille personnes par an.
Te voilà parachutée au Maroc. Tu y fais de la prison, tu y apprend l'arabe, tu y milites dans une association anti-sida, mais tu y resteras toujours une déracinée. Tu ne renonces pas à ton espoir de rentrer chez toi, en France, retrouver ta fille. Tu rencontres d'autres « double peine », arrachés comme toi à leur planète. Comme Saïd, né à Tours : en novembre 1999, ça fera huit ans qu'il végète là-bas. Ou comme Mina, morte du Sida l'été dernier à Casablanca. Morte aussi de déchirement.
Aujourd'hui, Amina Falah est revenue en France. Le Comité contre la double peine a réussi à faire lever son interdiction de territoire, mais il aura fallu attendre cinq ans pour que l'Etat français lui délivre un visa. Cinq ans d'errance et de bannissement. Elle voit sa fille, cherche du boulot, entame une vie nouvelle. Amina n'est plus la même. Mais son pays, lui, n'a pas changé. La France de Chevènement n'a pas abrogé la double peine et les arracheurs d'existences continuent leur boulot.
Olivier Cyran.

     - Comité contre la double peine -
        46 rue de Montreuil, 75011 Paris
                01 44 93 51 26

Même dans une démocratie digne de ce nom, il arrive que l'on soit puni pour ce que l'on fait et en même temps pour ce que l'on est.
C'est la double peine.